#1 – Hacker le système politique est une question de volonté

Le 2 mars 2011

Pour cette première "Chronique de Rechi", découverte de la seconde mouture de Mémoire Politique. Ou comment "des nerds ultrapolitisés" peuvent peser sur les décideurs politiques.

[NDLR] Cet article est le premier d’une série que nous espérons longue, sobrement intitulée pour le moment “Les Chroniques de Rechi”. Enjoy, comme on dit.

N’importe quel gratte-papier le sait, les sujets potables émergent régulièrement de l’alchimie des rencontres nocturnes provoquées au gré de l’alcool qui glisse et des heures qui passent. Vendredi soir dernier, au détour d’une soirée dans un appartement dominant majestueusement le bassin de la Villette, un nerd imposant à la chevelure bouclée et au rire sonore m’entretient au rythme de sa bière qui diminue du #hackathon, une performance organisée à l’initiative de la Quadrature du net – ces hérauts français de la liberté numérique absolue. L’espace d’un week-end, une poignées de programmeurs, designers et autres philosophes de l’internet se réunissaient dans le hackerspace d’un squat parisien, avec pour objectif commun de travailler nuit et jour sur la seconde mouture de Mémoire Politique, un site collaboratif ayant vocation à noter tous les eurodéputés du continent, en fonction de leurs votes sur les thématiques numériques discutées à Strasbourg et à Bruxelles.

Mon grand gars de la veille ayant suffisamment attisé ma curiosité, je débarque le samedi en fin d’après-midi dans un colossal immeuble occupé, en plein centre de Paris. Le mélange des genres est assez étonnant. De la porte d’entrée où un jeune rebeu me taxe une clope et me propose de lui acheter chosequel, je passe à un univers complètement distinct quatre étages plus haut. Sur un plateau de plusieurs centaines de mètres carrés, des câbles disputent l’occupation murale à des morceaux de processeurs qu’on imagine avoir été chirurgicalement extraits d’unités centrales obsolètes. Et puis planté là, au milieu d’une salle à moitié vide, une quinzaine de développeurs s’acharnent à coder des lignes incompréhensibles pour le néophyte, ne s’accordant du répit que pour ingérer un peu de fumée ou de bière et éventuellement échanger quelques mots sur l’avancée des travaux.

Au milieu de la masse des développeurs, un petit gaillard sapé comme un skateur sur le retour, lunettes épaisses, cheveux et barbe dans tous les sens se lève et se rassoit sans cesse, orchestrant la partition en train de s’écrire. Jérémie Zimmermann est l’un des cofondateurs de la Quadrature du Net et sans doute sa figure la plus éminemment médiatique. Si c’est la première fois que je rencontre le lascar, il me revient en mémoire qu’au-delà de toutes les mentions qui lui sont régulièrement faites dans la presse, un Islandais proche de WikiLeaks que j’avais rencontré huit mois plus tôt dans un bar à Reykjavik m’avait demandé si je le connaissais. Un peu à l’écart, le garçon me confirme que tout ce petit monde s’évertue à faire émerger la seconde version d’un outil qui ambitionne d’emmerder tout eurodéputé qui prendrait des positions antagonistes à celle de la Quadrature lors du vote de textes de loi relatifs à Internet. Le message de ces hacktivistes est clair, rien de ce qui sera voté au parlement européen ne leur échappera.

Jérémie Zimmermann dans ses oeuvres, au moment des débats autour de la loi Hadopi

Assis dans un coin de l’énorme plateau de bureaux squattés illégalement, Zimmermann est intarissable sur son affaire. Sur le wiki dédié à l’initiative Mémoire Politique, chaque eurodéputé dispose d’une fiche personnalisée scrupuleusement remplie avec son parti national, le groupe politique au sein duquel il siège, sa fonction au parlement, son site et même son téléphone direct à Bruxelles et à Strasbourg, avec la possibilité de l’appeler instantanément pour le pourrir, si besoin est, via un ingénieux dispositif de voip. Et puis évidemment – et c’est là que réside toute la vigueur de Mémoire Politique – une rubrique de la fiche est entièrement consacrée aux votes intéressant la Quadrature, auxquels ledit député aurait pris part.

Résolution sur l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA), rapport Gallo sur l’application des droits de propriété intellectuelle sur le marché intérieur, rapport Bono sur les industries culturelles en Europe… à chaque fois qu’un rapport, une directive ou une résolution – aussi bordélique et brut soit-il – concerne de près ou de loin le net, les types de la Quadrature s’évertuent à réaliser un travail de forçats en l’épluchant et en établissant des barèmes et des coefficients d’importance des différents amendements. Une fois l’affaire votée, chaque eurodéputé se voit attribuer une note allant de 0 à 100, reflet intemporel, par la force du web, du vote d’un jour. La bonne connaissance des techniciens maison d’outils basiques comme le référencement web leur permet par ailleurs de monter la fiche de chaque eurodéputé très haut dans les résultats google, souvent en quatrième position juste derrière leur page officielle du parlement, leur blog ou site et la sacro-sainte fiche Wikipedia. Un mécanisme ingénieux, simple, mais diablement couillu et parfaitement huilé.

Non-contents du boulot déjà abattu mais trop peu médiatisé, ces nerds ultrapolitisés ont ainsi décidé de passer la seconde en pimpant leur petit bijou, notamment avec des badges symboliques récompensant les meilleurs ou à l’inverse de coller d’infâmes jpeg d’étrons sur la page de ceux qui voteraient dans un sens contraire à la mentalité endogène. Réunis physiquement ce weekend, ces activistes travaillent surtout à l’établissement d’une architecture Open-Source. En plus de se départir de la structure Wiki qui pêche par ses contraintes, l’idée de la nouvelle version consiste particulièrement à conférer à d’autres organisations, la possibilité d’adapter l’outil selon les intérêts de chacun. Greenpeace pourra ainsi abattre un labeur similaire sur les questions écologiques, Reporters sans Frontières sur les affaires de libertés de presse et ainsi de suite.

Au delà de la prouesse technique, Zimmermann et sa clique contribuent à un travail d’intérêt commun. Devant la multiplication d’initiatives analogues, les dirigeants politiques finiront par devoir intégrer dans leurs petites tronches de bureaucrates déconnectées que composer avec les hacktivistes de tout bord, n’est même plus de l’ordre de l’option politique. À l’instar des multiples séismes occasionnés par WikiLeaks ces derniers mois, ces gonzes qui ont longtemps trainé une réputation de binoclards prostrés derrière des écrans redéfinissent la notion de citoyens actifs à grands coups de pages internet dans la gueule des politicailleurs. Pour autant, leur premier combat – celui de la démocratisation d’outils comme Mémoire Politique – est loin d’être gagné.

Sans la conjonction de ces événements qui m’ont fait atterrir un samedi après-midi dans cet espace confidentiel, je n’aurais probablement pas découvert cette initiative vieille de trois ans, alors que sans fausse modestie, je crois faire partie de la génération la plus à même d’être au courant de la tenue de ce genre d’initiative. Cet objectif de peser dans l’arène politique avec l’intention de défendre coûte que coûte la liberté numérique soulève aussi son lot de paradoxes. Si les conservateurs du bloc de droite récoltent sans surprise des notes minables, et que les gauchistes naviguent entre le meilleur et le pire selon les dossiers, les plus constants dans le haut du tableau se situent souvent du côté des verts… et de l’extrême-droite. Gollnisch ou le père et la fille Le Pen obtiennent quasiment à chaque fois des résultats qui flirtent avec les sommets, les singularisant de facto dans le rôle d’ambassadeurs politiques d’une lutte dont Zimmermann et la Quadrature se passeraient probablement. Mais dans le fond, ces individus réunis l’espace d’un jour dans le même espace physique, poursuivent un but bien plus global qu’ils martèlent volontiers : hacker la loi et le système politique. Et plutôt que devenir l’énième incarnation d’un obscur lobby, ils ont choisi leur voie : l’action.

NDA: La Quadrature du Net a également mis en place une démarche similaire au niveau national. Mémoire Politique permet ainsi de consulter les notes attribuées à votre député de circonscription sur les votes relatifs à l’internet en France, à l’instar de la loi Hadopi. Et si vous n’êtes pas content, rien ne vous empêche de les appeler d’un clic pour les engueuler. A noter aussi le travail effectué par RegardsCitoyens.

Crédits Photos FlickR CC : Pachango/ verbeeldingskr8 / mksavage / Bold&Blond /

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