Editofight: Bienvenue en mars!
De l'évolution au service des idées. Voilà ce que sont les réseaux aujourd'hui, à la fois vecteurs d'informations et témoins d'une volonté de liberté. Montée en puissance du numérique et édito à deux voix.
OWNI a le plaisir de vous présenter le fight de mars, en deux rounds. Pas de KO ni vainqueur à la fin. Un édito du mois, à deux voix…
Round #1
Le monde ne tremble pas. Il a vacillé.
Nicolas Voisin, Directeur de la publication @ OWNI
C’est l’histoire de 10 gus dans un garage, qui en 10 ans ont eu la peau de 10 dictateurs… Une bande de geeks dans une sombre ex-autocratie de l’Est, la Serbie. On est en l’an 2000 et ils forment une bande d’activistes. Leur bannière ? Un poing levé, fermé. Leur méthode ? L’activisme systématique. Ils prônent l’application de l’idéologie de la résistance individuelle non violente, théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp, surnommé le “Machiavel de la non-violence”.
Dans d’autres coins du Périgord, du Chiapas, de Grèce, du Texas, de Corrèze ou de Bavière, d’autres geeks et divers barbus anonymes ou signant du Z qui veut dire Thoreau, et qui ne s’étaient jamais vraiment connectés, rêvaient de la même chose.
Le monde vacille quand, sans réseau, les idées convergent. C’est l’histoire de cette décennie, aux traits grossis, enfin. Le monde tremble quand les réseaux accélèrent extraordinairement leur essor, et permettent la convergence des idées. Il en est une commune, la seule qui soulève les vagues : celle de la liberté.
Les gamins, les Serbes de 2000 qui taguaient les poings levés, informaient la presse et veillaient à l’absence de dérapages dans les manifestations, poursuivirent leur tour du monde, dont peu de journalistes ont raconté le sens et l’histoire. Ce poing levé est en 2011, l’icône de ce que l’on veut circonscrire en les nommant si mal “les révolutions arabes”.
Ce poing levé, ou “mouvement dégage !”, nous y reviendrons le 22 mars, avec Radio Nova, pour un défi cinglé : passer la nuit avec vous, à causer de la mise en réseau du monde, celui qui vient de basculer véritablement, et pas seulement dans le numérique.
On vous a raconté ici précédemment l’histoire du blond – mais si l’Australien – pas si blond, loin d’être con, qui tentait de démontrer que le sens de l’histoire est d’aller vers plus de transparence pour ceux qui concentrent le pouvoir et de protéger de la transparence avec autant de fougue, ceux qui n’en n’ont pas, du pouvoir. L’histoire a retenu la première partie seulement.
Dans les deux cas, c’est une bande de geeks à un de ces moments que l’histoire sait contempler et conter mieux que les journalistes. De ces moments dans lesquels, signe distinctif, émergent des médias ; ici la chaine quatarie qui rythme cette nouvelle année sous le sceau de la breaking news.
Un de ces moments de l’histoire où l’on est fier de l’autre. De son contemporain. De l’Arabe d’en face. Du geek d’à côté.
Tombez autocrates, l’éducation, le web et l’exigence auront vos peaux.
C’était février. Vous allez kiffer mars /-)
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Gene Sharp n’est autre que le fondateur de l’Albert Einstein Institution. Son ouvrage From Dictatorship to Democracy (De la dictature à la démocratie) a été à la base de toutes les révolutions colorées. Disponible en 25 langues différentes (dont bien sûr l’arabe), ce livre est consultable gratuitement sur Internet et sa dernière édition date de 2010. Sa première édition, destinée aux dissidents birmans de Thaïlande, a été publiée en 1993. Plusieurs mouvements ont été mis en place pour conduire les révoltes colorées. Parmi eux, OTPOR (Résistance en serbe), dirigé par Srdja Popovic, est celui qui a causé la chute du régime serbe de Slobodan Milosevic. Le logo d’OTPOR est ce poing fermé ; il a été repris par tous les mouvements subséquents.[↩]
Round #2
À chaque génération son Internet ?
David Servenay, Directeur de la publication Mook et Pulp @ OWNI
On peut prendre le problème sous tous les angles : notre expérience du web reste collée à notre âge biologique. 2010 sacrant Facebook et les réseaux sociaux comme l’ultima ratio d’Internet en apporte un nouvel exemple.
Les dernières études menées en France sur l’expansion du réseau créé par Mark Zuckerberg et ses amis montre que la fracture sociale est en passe de se résorber. Gratuité, simplicité et facilité d’usage réduisent les différences d’accès à la technologie. Un coût de connexion relativement faible (30 euros par foyer) à l’échelle européenne, des lignes haut-débit largement répandues ont fait le reste.
Le reste ? Pas tout à fait, car l’autre fracture, celle des générations, a encore de beaux jours devant elle. Le Monde peut se réjouir de constater que 6,5% des Français de plus de 65 ans sont “affiliés” à Facebook – chiffre qui a doublé en un an – mais le mouvement reste embryonnaire. Pour ne pas dire que 93,5% des mêmes Français n’ont pas idée des infos contenues dans un profil FB.
Ce constat de la fracture des générations, le sociologue Louis Chauvel l’a dressé depuis une quinzaine d’années, en s’attachant au parcours divergent des “cohortes” générationnelles, en terme de revenus et de patrimoine. Son idée – très minoritaire à l’époque – consistait à prédire des tensions de plus en plus fortes entre la génération des soixante-huitard et leurs enfants, sacrifiés sur l’autel du libéralisme. L’actualité (21 avril, CPE, mouvement désobéissant…) lui a souvent donné raison.
Quel parallèle avec les usages du web ? C’est le genre de questions que nous nous posons tous les jours sur OWNI. Dans le jargon de la soucoupe, cela donne : comment “degeekiser” l’information ? Rendre accessible au plus grand nombre ces extraordinaires outils offerts par les technologies numériques ? Faire en sorte que la fracture entre les natives – ceux qui sont nés une souris à la main – et les convertis ne se transforme pas en gouffre ?
L’un des instituts américains les plus pertinents sur le sujet, le Pew Internet [en] a établi un classement des activités, par cohorte d’âges. Les résultats sont aussi clairs qu’instructifs [en].
Dans la typologie habituelle des usages – les jeunes abandonnent le blogging, les vieux achètent, tout le monde utilise le mail -, le “get news” arrive en quatrième position des pratiques. Preuve que l’enjeu démocratique lié à cette fracture n’est pas anodin. Pour comprendre notre monde, le web devient chaque jour un outil indispensable, plus complexe que ses prédécesseurs (écrit, radio et télé) car nécessitant un savoir-faire.
Allez, c’est décidé, en 2011, je dirais enfin à ma mère que son compte gmail comprend la fonction tchat. Tout en lui apprenant à ne pas en abuser.
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