Comment le discours politique stigmatise l’immigration
L'actualité le montre : le "problème de l'immigration" sera probablement au centre des débats en 2012. Pourtant, les enjeux du sujet contredisent souvent les discours politiques.
Le désormais fameux sondage Harris, à défaut d’avoir une quelconque pertinence, a au moins joué son rôle: celui de lancer la campagne électorale de 2012 (ou au moins de l’avoir officialisée, car elle a plus probablement démarré le 7 mai 2007) et d’en fixer la narration. La question du Front National est malheureusement destinée à faire de la question de l’immigration une des thématiques centrales du débat politique des prochains moins. Encore…
Mais les commentateurs commencent à traduire cela sous la forme d’une “inquiétude des Français” face à la mondialisation. On peut souligner que, par rapport à celle-ci, la classe politique française fonctionne généralement selon un deux poids, deux mesures : d’un côté, la “pédagogie”, de l’autre, la “réponse aux inquiétudes des Français”.
Deux discours pour deux types de mondialisation
D’un côté, il y a la mondialisation de l’économie, sa concurrence internationale et surtout celle des travailleurs entre eux, sa mobilité des capitaux, sa nécessité d’être “compétitif”. Son incitation devant laquelle on ne peut guère reculer, à “réformer” le système français, particulièrement en ce qui concerne la protection sociale, pour le mettre à l’heure du monde. Face à cette mondialisation-ci, la forme d’approche politique qui s’est imposée a été celle de la “pédagogie” : il faut expliquer aux Français que le monde a changé et que pour survivre dans ce nouveau contexte, ou tout au moins maintenir sa place et sa situation, il faut consentir à quelques sacrifices plus ou moins importants.
De l’autre, il y a une mondialisation complémentaire à la première, celle des hommes et des femmes, ceux qui quittent leurs pays pour aller travailler ailleurs. Non moins ancienne que la première (sans doute même plus), elle en partage certains traits, comme une invisibilisation partielle – on fait plus attention aux déplacements des pauvres qu’à ceux des riches comme on fait plus attention à certains mouvements de capitaux qu’à d’autres. Tout au moins ne les voie-t-on pas sur le même mode : il faudrait attirer les riches et empêcher les pauvres de rentrer. Comme la précédente, elle est vécue sur le mode de la menace pour notre pays. Mais la réaction politique a été tout autre : plutôt que de tenter d’expliquer aux Français ce qu’il en est, il faut “répondre à leurs inquiétudes” sans les remettre en question.
L’immigration n’est pas “toute la misère du monde”
Pourtant, on pourrait traiter politiquement la mondialisation des migrations humaines comme on traite la mondialisation économique (la distinction entre les deux étant d’ailleurs douteuse). On pourrait expliquer, par exemple, (et seulement par exemple) que la France est très loin d’être le pays qui reçoit le plus de migrants en Europe. Qu’accueillir l’immigration ne revient pas, selon une formule trop souvent entendue et mal comprise, à accueillir “toute la misère du monde” [PDF].
Que la misère, le chômage et leurs cortèges de difficultés qui frappent certains quartiers doivent moins à l’immigration qu’à la ségrégation urbaine, l’enfermement scolaire et social, et autres, bref à ce qui se passe ici et maintenant et qui frappe des personnes qui sont aussi française que moi plutôt qu’à une vague frappant depuis l’extérieur. Qu’il faudrait peut-être aussi réfléchir sur les conditions d’accueil et d’arrivée, et que même Hugues Lagrange est d’accord avec ça. En un mot, on pourrait faire preuve de “pédagogie” et expliquer aux Français quels sont les vrais enjeux.
On pourrait, mais on ne le fait pas. Au contraire, celui qui s’y risquerait prendra toujours le risque de se voir reprocher un “angélisme” de mauvais aloi, de refuser de répondre aux angoisses des Français, voire de mépriser ceux-ci par “parisianisme” ou je ne sais quoi. Autant de reproches que l’on ne fera pas à celui qui voudra défendre que ces mêmes Français doivent accepter le jeu de la mondialisation économique.
La solution est-elle toujours dans le problème posé ?
Ce point nous rappelle que les “problèmes politiques” ne s’imposent jamais tout seul, simplement parce qu’ils sont problématiques. Ils font toujours l’objet d’une lecture de la part de la classe politique. On me dira sans doute que, même si tous et toutes décidaient demain que l’on peut ignorer la mondialisation économique, celle-ci n’en cesserait pas moins d’exister et d’imposer certaines défis à la France, à sa situation économique et à sa politique du même tonneau. Et on aura raison de le dire. Mais de la même façon, continuer à lire les problèmes d’insécurité comme se ramenant à des problèmes d’immigration n’empêchera jamais que ceux-ci aient d’autres origines. On ne réglera pas les problèmes de ségrégation urbaine, par exemple, en retirant la nationalité aux Français par acquisition ayant commis certains crimes… Et pourtant, c’est ce que l’on continue à faire. En le faisant passer pour une attitude responsable qui plus est.
Deux topiques du débat politique donc : la “pédagogie” et la “réponse”. Mais pourquoi l’une parvient-elle à s’imposer dans certains domaines tandis que l’autre domine sur certaines questions ? Comment expliquer leur répartition dans le débat public ? Surtout que l’on pourrait s’attendre à ce que la “réponse aux inquiétudes des Français” ait une popularité plus grande auprès de ceux qui veulent séduire “l’opinion publique” (qui n’existe toujours pas, par ailleurs).
Sans doute faut-il revenir à la question de l’activité politique elle-même, et au fait qu’elle consiste le plus souvent à qualifier des évènements d’une certaine manière : les hommes politiques ne font jamais que désigner ce contre quoi on peut lutter et ce que l’on doit accepter. Mais pour que ces tentatives de qualification soient acceptés, il faut pouvoir en donner des “preuves” – même faussées. Difficile d’obtenir des résultats en matière économique : difficile, donc, de tenter la topique de la “réponse”. La “pédagogie” est donc une ressource. Il est plus facile, en revanche, d’exposer des résultats en matière d’immigration, qu’il s’agisse de lois ou d’arrestation. La “réponse” peut donc pleinement jouer. Derrière cette question, il y en a une autre, plus profonde : celle du pouvoir des États, de ce sur quoi ils peuvent encore jouer. Rien que ça.
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> Billet publié initialement sur Une heure de peine sous le titre De la pédagogie en politique
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