Les petits bras musclés de la CNIL s’ouvrent à la vidéosurveillance
La CNIL se félicite de pouvoir enfin contrôler, et sanctionner, les systèmes de vidéosurveillance. En réalité, la LOPPSI lui interdit de rendre publics ses avertissements, la plaçant sous la tutelle des préfets, et donc du ministère de l'Intérieur.
Toute honte bue, dans un communiqué daté du 26 avril, la CNIL se réjouit de disposer “dorénavant d’un pouvoir de contrôle de tous les dispositifs de vidéoprotection installés sur le territoire national, y compris ceux installés sur la voie publique“. Et même de pouvoir “proposer au préfet d’ordonner des mesures de suspension ou de suppression du système contrôlé“.
La CNIL oublie cela dit de préciser que le nouveau cadre légal encadrant les questions de sécurité intérieure lui a fait perdre son pouvoir de sanction. Il lui interdit aussi de prononcer un avertissement public contre les contrevenants, ce qui, de l’aveu même de l’un des commissaires de la CNIL, “constitue une régression par rapport à la loi « informatique et libertés » de 1978“…
Dans un autre communiqué, où elle annonce son programme des contrôles 2011, la CNIL se félicite de pouvoir enfin “contrôler tous les dispositifs dits « de vidéoprotection »” :
Cette nouvelle compétence était nécessaire afin que le déploiement de ces dispositifs s’effectue sous le contrôle d’une autorité indépendante garante des libertés et du développement homogène de la vidéoprotection sur l’ensemble du territoire.
La Commission a décidé de mobiliser fortement ses ressources puisqu’elle s’est fixé comme objectif la réalisation d’au moins 150 contrôles portant sur ces dispositifs.
Le premier communiqué présente de fait cette “nouvelle compétence” comme une victoire remportée par la CNIL, et la LOPPSI comme une avancée pour les droits informatique et libertés :
La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) a grandement modifié le régime juridique relatif à la vidéoprotection.
Certaines de ces modifications concernent directement la CNIL : en particulier, elle est désormais compétente pour contrôler les systèmes de vidéoprotection, qu’ils soient installés sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, ce qu’elle réclamait depuis de nombreuses années.
Déjà, en septembre dernier, Alex Türk, président de la CNIL et sénateur du Nord, parvenait à convaincre ses collègues sénateurs de la pertinence de substituer le terme honni de “vidéosurveillance” par celui, béni par la LOPPSI, de “vidéoprotection“, au motif que cela rendrait plus facile l’installation de systèmes de vidéosurveillance par les maires… “de gauche”. Ces “nouvelles compétences de contrôle“, présentées comme “l’un des changements majeurs apportés par la LOPPSI“, étaient réclamées depuis 2008 par la CNIL :
Celle-ci dispose dorénavant d’un pouvoir de contrôle de tous les dispositifs de vidéoprotection installés sur le territoire national, y compris ceux installés sur la voie publique, qui relèvent de la loi du 21 janvier 1995.
Elle peut également mettre en demeure les responsables de ces systèmes si elle constate des manquements aux obligations qui s’imposent à eux (information du public, respect de la durée de conservation des enregistrements, limitation des destinataires des images, etc.).
Elle peut enfin proposer au préfet d’ordonner des mesures de suspension ou de suppression du système contrôlé.
Il en allait en effet de “la nécessité du contrôle par un organisme indépendant, des dispositifs de vidéoprotection” :
Le contrôle des surveillants constitue en effet une exigence fondamentale pour asseoir la légitimité de ces systèmes dans le respect des droits et libertés des citoyens.
Une régression par rapport à la loi « informatique et libertés »
Cependant, la lecture du compte-rendu de la commission mixte paritaire du 24 janvier 2011, à l’origine de la LOPPSI, tempère quelque peu cet enthousiasme :
Mme Delphine Batho, députée : Vous ôtez à la CNIL son pouvoir de prononcer un avertissement public contre les contrevenants !
M. Sébastien Huyghe, député : En tant que membre de la CNIL, je regrette qu’on lui fasse perdre son pouvoir de sanction – car un avertissement public est une sanction.
M. Jean-Paul Amoudry, sénateur : Je m’abstiendrai, car en ôtant à la CNIL le droit de prononcer un avertissement public, cet article constitue une régression par rapport à la loi « informatique et libertés » de 1978. J’approuve en revanche les autres modifications proposées par les rapporteurs.
A noter que Jean-Paul Amoudry, lui aussi, commissaire à la CNIL, n’a pas pris part au vote, contrairement à Alex Türk qui, lui, a voté pour la LOPPSI (voir ses explications).
De fait, l’article 18 de la LOPPSI définit clairement les limites de ce “contrôle des surveillants”
Lorsque la Commission nationale de l’informatique et des libertés constate un manquement aux dispositions de la présente loi, elle peut, après avoir mis en demeure la personne responsable du système de se mettre en conformité dans un délai qu’elle fixe, demander au représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, au préfet de police, d’ordonner la suspension ou la suppression du système de vidéoprotection. Elle informe le maire de la commune concernée de cette demande.
L’énoncé et l’échelle des sanctions prévues par la LOPPSI montrent bien, par ailleurs, la très ferme volonté du gouvernement de réprimer extrêmement sévèrement les contrevenants de sorte que les peines s’avèrent éminemment dissuasives, conformément à la volonté de sévérité incarnée par la LOPPSI :
A la demande de la commission départementale, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou de sa propre initiative, le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent fermer pour une durée de trois mois, après mise en demeure non suivie d’effets dans le délai qu’elle fixe, un établissement ouvert au public dans lequel est maintenu un système de vidéoprotection sans autorisation.
Lorsque, à l’issue du délai de trois mois, l’établissement n’a pas sollicité la régularisation de son système, l’autorité administrative peut lui enjoindre de démonter ledit système. S’il n’est pas donné suite à cette injonction, une nouvelle mesure de fermeture de trois mois peut être prononcée.
Le préfet “peut” fermer, “peut” lui enjoindre de démonter ledit système, “peut” prononcer une nouvelle mesure de fermeture de trois mois… Dit autrement, le préfet “peut” aussi “ne pas“. On parie qu’il le fera ? Allez “hop boum boum crac crac Gouzigouza“…
Mise à Jour : voir également la réponse de la CNIL, qui conteste le terme de “régression” qui avait pourtant bien été employé, à l’Assemblée, par l’un des commissaires de cette même CNIL.
Illustrations : pochettes de disques des Musclés extraites de Bide & Musique et d’un site perso consacré aux Musclés.
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