Jeunes gays, demain ce sera bien
Un programme lancé après une vague de suicide de jeunes harcelés à cause de leur homosexualité rassemble des témoignages expliquant que l'on peut survivre au harcèlement et que les choses s'arrangent.
(tous les  liens de cet article redirigent vers des ressources en anglais)
Le 22 septembre 2010, vers 21 heures, la nuit s’installe entre les gratte-ciels. Sur le pont George Washington qui relie le nord de Manhattan au New Jersey, des passants trouvent un porte-feuille contenant un permis de conduire et une carte d’identité. Le jeune Tyler Clementi a sauté quelques minutes plus tôt.
Trois jours avant, le 19, Tyler prévoyait de passer une soirée en compagnie de son copain. Il avait avertit son colocataire qui racontait alors sur Twitter :
Mon colocataire a demandé la chambre jusqu’à minuit. Je suis allé dans une autre chambre et j’ai allumé ma webcam. Je l’ai vu embrasser un homme. Youpi !
Deux jours plus tard, le colocataire poste un nouveau tweet :
À tous ceux qui ont iChat, je vous défie de me rejoindre pour un chat vidéo entre 21 heures 30 et minuit. Oui, ça se reproduit à nouveau.
Sur le forum JustUsBoys.com, dans une conversation retrouvée par Gawker, le jeune Tyler s’inquiétait. Ayant aperçu le message sur Twitter, il demandait aux membres quelle solution trouver pour régler ce problème d’espionnage. Son dernier message sur le site raconte qu’il va remplir un formulaire pour changer de chambre. Le lendemain, il est mort.
“Ça va aller mieux”
Une demie-douzaine de suicides de jeunes homosexuels est très médiatisée en septembre 2010. Dan Savage, chroniqueur pour The Stranger, journal de Seattle, rappelle dans une de ses chroniques que 9 jeunes homosexuels sur 10 se font harceler pendant les années lycées. Jeunes auxquels on peut ajouter ceux dont on suppose l’homosexualité sans qu’elle ne soit avérée.
Il explique ensuite qu’il aimerait aller dans les écoles expliquer que ça peut s’arranger, faire de la pédagogie. Cependant, dans de nombreuses écoles, la porte est fermée aux personnes souhaitant évoquer l’homosexualité. Alors qu’ils viendrait pour raconter la difficulté de faire accepter son homosexualité, certains parents et professeurs considèrent ces interventions comme des convertissements.
J’aurais aimé lui parler ne serait-ce que cinq minutes pour lui expliquer que ça s’améliore ensuite,  mais c’est impossible. Il m’est alors apparu que je pouvais lui parler grâce aux réseaux sociaux.
Devant ce constat, il enregistre avec son mari une vidéo où il explique que, malgré le harcèlement dont ils furent tous les deux victimes à l’école, c’est allé mieux ensuite, ils se sont rencontrés et sont aujourd’hui heureux. Ils ajoutent que, globalement, ça va mieux après. Dan Savage héberge la vidéo sur une chaîne Youtube créée pour l’occasion et intitulée It Gets Better1 . Il invite ses lecteurs, dans sa chronique, témoigner à leur tour et à déposer leurs messages de soutiens et d’espérance sur la chaîne Youtube à destination des jeunes qui font face à ces problèmes à l’école.
Les contributions arrivent alors nombreuses, poussées entre autres, par la médiatisation du suicide de Tyler Clementi qui a eu un écho important au même moment. L’initiative est rapidement relayée par les médias nationaux et  un site est alors construit avec Blue State Digital, cheville numérique de la campagne en ligne de Barack Obama, pour encourager la production et la dissémination des vidéos.
Les personnalités politiques, comme Barack Obama, et de nombreuses entreprises profitent pour témoigner à leur tour et se lancer dans l’aventure It Gets Better. Apple, Pixar et Facebook ou Gap ont, par exemple, proposé leurs versions. Tombant parfois dans le gaywashing, telle cette publicité pour Google Chrome utilisant la campagne.
“Donnez leur de l’espoir”
L’intérêt de cette campagne, selon Mary L. Gray, sociologue et anthropologue, est que Youtube offre un espace de dialogue important et que ces vidéos peuvent sauver quelques jeunes qui y trouvent une aide bienvenue et une occasion d’imaginer leur futur. Les réseaux sociaux permettent un dialogue quand il est parfois difficile de trouver un interlocuteur avec qui parler de sa sexualité près de chez soi.
Parmi les 20 000 vidéos créés depuis le 21 septembre 2010, certains témoignages sont très émouvants comme celui d’un élu de Fort Worth, au Texas qui raconte le suicide d’un jeune lycéen de son administration à l’âge de 13 ans. Il enchaîne ensuite sur une confession sur les difficultés qu’il a rencontré pendant ses jeunes années.
Souffre et attends
Cependant l’opération révèle plusieurs problèmes assez importants raconte Mary L. Gray. Le premier est l’attitude attentiste qu’il suppose : la seule chose qui règlerait les agressions homophobes serait le temps. La campagne, même si elle donne de l’espoir aux jeunes agressés, ne règle pas le problème du harcèlement à l’école et entérine l’idée que celui-ci est irrévocable et normal. Elle suppose également que tout harcèlement est homophobe et que si un jeune fait trop efféminé, et est agressé, c’est qu’il est homosexuel.
L’école est le moment où l’on apprend à devenir des adultes, des citoyens et des employés. Tout comportement ne correspondant pas à ce qui est considéré comme normal peut donc être cause d’intimidation par ses pairs. En France, en mai 2011, Luc Chatel était un des premiers ministres à évoquer publiquement le sujet, en ouvrant les Assises nationales sur le harcèlement à l’École.
Dans cette quête du camarade de classe normal, un des problèmes est celui du genre et de la sexualité. À ce niveau, le lycée, et particulièrement aux États-Unis confie Mary L. Gray, est le lieu où sont produits des rituels permettant de faire apparaître une masculinité et une féminité normée. Notamment en s’affichant avec une petite-amie ou un petit-ami et plus globalement en se comportant comme son genre le suppose.
Un des effets de cette normalisation affichée est que les personnes débordant un peu trop de leur genre sont qualifiées de pédales, de tapettes en France et de sissy ou de fag ou de queer aux États-Unis. Elles sont également brutalisées, poussées dans les couloirs, moquées, et donc exclues. Le suicide devenant quatre fois plus problable chez les jeunes homosexuels.
Témoins trop urbains
Tout au long des vidéos de la campagne It Gets Better, une autre impression assez étrange flotte, celle qui voudrait qu’il faut obligatoirement quitter sa province coincée pour échapper aux autres et rejoindre une ville plus ouverte où les homosexuels peuvent rencontrer des amis et des conjoints. Une vision légèrement bobo de la ville accueillante et de la campagne rustre. Dans les faits, et au moins aux États-Unis, de nombreux homosexuels vivent très bien sans quitter leur village natal.
Peu d’études se sont penchées sur ces homosexuels des champs. Dans son livre retraçant ses recherches, Out in the Country, Mary L. Gray explique que dans chaque comté aux États-Unis on peut trouver des couples homosexuels. Ils sont cependant beaucoup plus discrets que dans les villes. D’une part parce que les combats LGBT —lesbiens-gay-bi-trans—sont plutôt focalisés sur une vision urbaine de l’homosexualité. D’autre part parce qu’ils ne disposent pas des ressources et lieux de rencontres qui pourraient leur permettre d’échanger avec d’autres. Selon ses recherches, Mary L. Gray a découvert que plus tôt les jeunes faisaient leur coming out, plus ils restaient autour de leur lieu de naissance et qu’ils arrivaient à s’arranger avec leurs familles.
Dans un article sur son blog, elle explique qu’une solution, en plus des témoignages émouvants qui nous expliquent que ce sera mieux demain, serait d’essayer que ça soit mieux aujourd’hui. Ou comment It gets better pourrait devenir Make it better.
photo Flickr cc Alexandre Léchenet
- It Gets Better signifie “Ça ira mieux” [↩]
Laisser un commentaire