Tragique odyssée des migrants en Méditerranée
Pour les migrants africains décidés à rejoindre l’Europe, on ne parle pas de "traversée" mais de "combat" pour la vie. Le journaliste français Dominique Christian Mollard a participé à l’une de ces périlleuses et tragiques odyssées.
Tapez “fortunes de mer” sur un moteur de recherche : les premiers résultats concernent les assurances maritimes, les chants de marins et les grands naufrages du XXème siècle. Mais les fortunes de mer les plus emblématiques de notre époque sont autres.
Le blog Fortress Europe [en] recense que depuis 1988, au moins 12 500 personnes ont perdu la vie dans la mer Méditerranée et dans l’océan Atlantique en essayant d’atteindre l’Europe. Ce chiffre, calculé à partir des accidents relatés dans les médias, laisse supposer un nombre des victimes sûrement supérieur.
Quitter l’Afrique à tout prix
Fortunes de mer est aussi le titre d’un documentaire réalisé par le journaliste français Dominique Christian Mollard. Pendant 25 mois, Mollard a suivi un groupe de migrants subsahariens décidés à “ne pas mourir dans la pauvreté“, comme le déclare Solei, un jeune Malien.
Avec 38 d’entre eux, Mollard s’embarque à Nouadhibou, sur la côte mauritanienne. Destination finale, les îles Canaries. Le voyage dure normalement cinq jours. Plusieurs des migrants ne sont jamais montés sur un bateau. La plus jeune à bord, Marie-Pascaline, n’a que cinq mois. Quand elle pleure, secouée par la houle, transie par le froid, sa mère Cheila chante pour la calmer.
Ils n’atteindront jamais les îles Canaries. Au bout de trois jours, le moteur tombe en panne. Grâce à son téléphone satellitaire, Mollard appelle les garde-côtes espagnols, qui signalent leur présence aux navires présents dans la zone. Un pétrolier russe vient à leur secours.
Le soulagement se mêle d’impatience : on attend un bateau de la marine espagnole, qui devrait finalement les amener en Europe. Nouvelle déception : un bateau s’approche, mais il bat pavillon marocain. La détresse s’empare des migrants. Pour eux, ce sera le retour à la case de départ. Mollard, lui, terminera sa mission : faire parvenir ce témoignage aux Européens, indifférents au cimetière marin qui ne cesse de grandir à leurs portes.
Tourné entre 2006 et 2008, Fortunes de mer a été diffusé par la chaîne espagnole La Uno [es] en novembre 2008 en version réduite, sous le titre Destino clandestino. La version complète était à l’affiche du Festival du documentaire Millénium, qui vient de se clore à Bruxelles.
Mollard, qui a assisté à la projection, a ensuite raconté un dénouement heureux lié à son projet : suite à la diffusion de Destino clandestino, le Premier ministre espagnol José Luis Zapatero a voulu rencontrer le réalisateur et a fait en sorte que Cheila et Marie-Pascaline, puissent s’établir en Espagne. Un beau geste, sans doute, mais prudemment éloigné de tout engagement politique.
Journalistes engagés
Le documentaire de Mollard rappelle un autre reportage, du journaliste italien Fabrizio Gatti [it], qui en 2005 s’est fait passer pour un migrant tout juste débarqué en Sicile après avoir passé quatre ans en Afrique du Nord.
Lui n’a pas pris place sur une embarcation de fortune mais s’est jeté des hauteurs de l’île et, repêché sur la plage, il s’est fait passer pour Bilal, un migrant kurde – jusqu’à être enfermé pendant une semaine dans le centre d’identification et d’expulsion de Lampedusa.
Avec honnêteté, le journaliste expliquait sa démarche au début de l’article :
À moins de partir de Libye en risquant de couler avec un bateau surchargé, c’est la seule alternative.
Mollard, lui, a couru le risque, tout comme le photojournaliste Olivier Jobard, auteur du reportage Kingsley’s crossing [en], ou le journaliste Grégoire Deniau, lauréat du prix Albert Londres avec son documentaire Traversée clandestine.
Depuis quelques années, d’autres témoignages nous parviennent, réalisés par les migrants eux-mêmes. Ils n’ont pas de téléphones satellitaires pour appeler au secours, mais leurs portables suffisent pour documenter le voyage, puis l’enfermement dans les centres. L’association italienne Naga a réalisé un reportage à partir des enregistrements vidéo fournis par les migrants :
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Billet initialement publié sur MyEurop
Photo Flickr CC by piervincenzocanale / CC by-nc-nd United Nations Photo
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