Connais ton mème
Récemment, plusieurs articles ont tenté d'expliquer le mème aux néophytes, le considérant comme un objet immatériel, doté d'humour et naviguant rapidement sur Internet. Nouvelle contribution by OWNI.
Récemment, plusieurs articles ont tenté d’expliquer le mème aux néophytes, le considérant comme un objet immatériel, doté d’humour et naviguant rapidement sur Internet. Ainsi, l’article de Télérama prend pour exemple toutes les images, vidéos ou textes stupides et rigolotes qui ont pu circuler après la main de Thierry Henry. Cependant, et même si on ne peut blâmer la dérive sémantique en général, tant elle fait évoluer notre langage, je serais d’avis de laisser au mème sa noblesse.
Un mème n’est pas une blague thématique. C’est beaucoup mieux.
Comme l’explique bien l’article de Télérama en question, le mème est l’élément de base d’une conception particulière de la culture. Selon les lois de la mémétique, l’élément culturel est considéré comme un gène, qui mute, qui se croise, qui se clone. Plaquer sur l’analyse culturelle les principes de base de la génétique, c’est le pari de Dawkins dans la mémétique. Chaque mème participe ainsi à la construction d’une culture.
Certains mème se sont globalisés, comme le Père Noël, qui a su prendre un peu de Santa Claus d’un côté, un peu de Coca-Cola d’un autre. Ou bien encore “Bon anniversaire”, qui existe dans toutes les langues. Un autre mème est Toto, et les blagues qui tournent autour de ce personnage. Jamais tout à fait les mêmes, mais avec toujours une référence commune, le petit Toto, pas très futé. Un mème est donc un objet culturel qui devient au fil du temps une référence largement partagée au sein d’une communauté, qu’on connaît, qu’on détourne et qu’on peut étudier sur la longueur.
Qualifier de mème une blague sur Thierry Henry est donc beaucoup trop présomptueux de la part des internautes. Selon moi, un mème n’existe que lorsqu’il apparaît sous une forme autre que primaire. Ainsi, si je vous dit “Never gonna let you down”, vous savez de quoi je parle. Je fais référence au jeu qui consistait il y a quelques années à  faire un lien vers la vidéo de Rick Astley, qu’on a appelé Rick Roll. Tout d’abord, commencer à qualifier un objet culturel est un bon moyen de le transformer en mème. Ensuite, ce jeu n’est devenu un mème que lorsque soit des parodies du jeu en lui-même, soit des références au jeu sont apparues, jusqu’à ce que Rick Astley lui-même interrompe la parade de Thanksgiving à New-York en chantant sa chanson.
Prenons un autre exemple. Le hashtag #quandjaicompris, qui peut sembler mystérieux pour certains, et qui date d’un tweet de @versac à propos d’un obscur concours. Certains furent prompt à le qualifier de mème. Cependant, en dehors de sa source d’origine, Twitter, et de ses participants d’origine, les utilisateurs de Twitter en juin 2009, personne n’a eu vent de l’histoire. Pas de parodie sur la longueur, pas de reprise dans une vidéo ou un article et pas d’évolution dans celui-ci. Ce n’est donc qu’une habitude entre utilisateurs, un référent partagé. Mais pas un mème.
Pour prendre un dernier exemple un peu plus 1.0, rappellez-vous quand vous aviez une adresse e-mail juste pour le plaisir et que votre grand-tante passait ses journées à vous envoyer des petits diaporamas. Ces diaporamas sont assez récurrents, souvent les mêmes. Cependant, le style du diaporama changeait, certaines photos s’ajoutaient, il était traduit. Ces objets là peuvent être qualifiés de mème.
On peut parler du mème des “sous-vêtements jamais portés” —mais si, souvenez-vous, un homme qui dit à sa femme “Aujourd’hui, c’est peut-être le moment de porter ce petit ensemble en dentelle que nous avions acheté à Paris.” et puis, au fil des pages, entre deux photos de soutien-gorge, on se rend compte que c’est effectivement le moment, puisque le mari habille sa femme, qui vient de mourir, avant de l’enterrer. Une idée, qui évolue, qui se modifie au gré du lecteur, de l’actualité. Et qui devient une référence.
Les mèmes les plus connus de l’Internet sont répertoriés par le site knowyourmeme.com. On peut y retrouver des figures familières, qui forment le socle de la culture web, mélangés avec les comics, la science-fiction, la fantasy et les langages de programmation. Ils sont tous autant de mèmes qui sont maintenant pleinement intégrés. Il suffit de dire “The Tron Guy” pour qu’on pense au monsieur en combinaison grise. Et si je traite une quelconque personne de Numa Nei, on saura que je fais référence à cet obèse chantonnant en agitant les bras la chanson du groupe O-Zone.
Un autre exemple. Le t-shirt Three Wolves and a Moon est apparu un beau matin sur la boutique en ligne Amazon. Il reprend des thématiques chère aux bikers et aux fans de Johnny, les loups. Quelqu’un le remarque et dépose sous ce t-shirt un commentaire très élogieux, transformant le porteur du t-shirt en trend-setter. Ce t-shirt devient donc l’objet d’un gag, mais il devient également le support de détournement, tel le t-shirt Keyboard Cat. Le Keyboard Cat est donc un mème. Loin de la vidéo où on le voit simplement jouer du piano, loin des vidéos où il ponctue une chute, il existe de lui-même.
Parce que si aujourd’hui, je vous parle de #ilappreciera, petite blague apparue sur Twitter le 30 avril, seul quatre personne sauront de quoi je parle. Et s’il vous prenait l’envie de transformer #jeansarkozypartout en vrai mème, il s’agirait demain d’arriver à le placer dans une convsersation, en le détournant un peu de son sens premier. Ce qui est tout à fait envisageable. J’imagine très bien un jeune, lors du repas familial, après que sa mère a favorisé le benjamin dire : “Mais c’est jeansarkozypartout ici !”
D’ailleurs, le jeu #jeansarkozypartout, qui je vous le rapelle était un moyen, à l’échelle de Twitter, utilisé pour protester contre l’arrivée de Jean Sarkozy à la tête de l’EPAD, était l’adaptation d’un fameux mème autour de Chuck Norris, qui consiste à faire de lui l’homme à qui tout réussi.
Donc entre blague qui fait le buzz ou véritable référent culturel repris, transformé, partagé et echangé, il y a une différence.
> Illustration par Scott Beale / Laughing Squid
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