ACTA : « Il ne s’agit pas de créer un “Big Brother” »
Séance de questions très instructive au Parlement Européen autour de l'ACTA: les contours de l'accord se précisent et sont évoqués par le commissaire européen en charge du commerce.
Hier après-midi, la commission des libertés civiles (LIBE) du Parlement Européen tenait une réunion autour de l’ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), notamment sur l’état d’avancement des négociations. Y était présent Karel de Gught, le commissaire européen en charge du commerce.
La réunion a commencé par une intervention de ce dernier : «J’ai toujours été un ferme défenseur des libertés civiles, donc je ne défendrai aucun accord s’il met à mal les libertés civiles. (…) Nous parlons d’un accord qui est important pour la compétitivité de l’Union Européenne au niveau des marchés internationaux. (…) Nous devons miser sur la compétitivité, les connaissances, etc. C’est ce qui est au cœur des inquiétudes de nos citoyens. En termes d’emploi tout d’abord».
«Il ne s’agit pas ici de créer un « Big Brother»
«Il ne s’agit pas ici de créer un « Big Brother » comme certains l’ont dit, nous parlons ici de standards internationaux de la propriété intellectuelle raisonnables, équilibrés et efficaces» a t-il tenu à préciser. Selon lui, l’ACTA vise les infractions à grande échelle ayant un impact financier significatif; il ne s’agit pas de contrôler le contenu des ordinateurs portables des voyageurs. Il a soutenu que l’ACTA doit être et sera en accord avec le droit communautaire. Et que, malgré les amalgames, il n’entravera pas l’accès aux médicaments génériques.
A propos de la transparence, après avoir rappelé que le texte est disponible depuis avril (pdf), le Commissaire a déclaré que «malheureusement» lors du dernier round qui s’est tenu à Lucerne (Suisse) fin juin, l’une des parties a refusé de rendre public la nouvelle version du texte. Une « décision unilatérale » que « la Commission regrette ». Il s’agit «vraisemblablement des Etats-Unis» nous a indiqué Michael Geist il y a quelques jours.
Quid d’Hadopi ?
Trois euro-députés sont alors intervenus pour faire des remarques et poser des questions.
Selon, Stavros Lambrinidis (S&D) le texte pose de nombreux problèmes, notamment dans ses notes de bas de page et les références faites à d’autres textes. Par exemple à la loi Hadopi. La diffusion du texte reste à confidentielle a t-il fait remarquer, et toute prise de position est donc difficile pour les parlementaires. Il a ensuite demandé si le texte excluait totalement le fait que les douanes auront le droit d’inspecter les ordinateurs personnels et les iPods.
Franziska Keller (Verts/ALE) est revenu sur la transparence. Elle a réclamé des études d’impacts, l’accès public au document de travail et de réelles garanties sur la protection des données.
Joan Enciu (S&D) a fait part de ses inquiétudes sur le fait de mettre sur un même pied d’égalité des choses graves — comme tout ce qui a un impact sur la santé publique, telle la contrefaçon de médicaments ou de pièces automobiles — et des infractions moins graves comme le piratage sur Internet. Il a ensuite demandé : «les fournisseurs d’accès à Internet doivent-ils être tenus responsables des actions commises par leurs clients et sont-ils obligés d’appliquer un filtrage du trafic sur leur réséau ? Dans ce cas là , on pourrait arriver à des problèmes de violation de la liberté d’expression et de la vie privée».
« Il n’est pas exclu que l’Union Européenne adopte une législation dans le sens (de la riposte graduée) »
Karel De Gucht a repris la parole pour répondre. «Je peux garantir qu’il n’y aura pas de contrôle des ordinateurs portables et autres équipements des voyageurs aux frontières» a répondu Karel De Gucht. « Les autorités douanières n’ont pas le temps ni les moyens légaux de s’occuper de quelques morceaux piratés sur des iPods ou des portables ». Il a poursuivi : «Cette clause fait partie du droit communautaire, on ne va donc pas retrouver une clause contraire dans l’ACTA (…) L’ACTA ne prévoit pas ce qui peut être mis en œuvre mais la manière dont on met en œuvre ce qui existe déjà ».
«Savoir si cela encouragera ou découragera les FAI à vérifier les contenus sensibles. L’approche de la riposte graduée n’est pas interdite en soit par l’ACTA. Mais Il y a des états qui ont cette approche, comme la France. Bien sûr, cela ne va pas être modifié pas l’ACTA. Donc ce sont les Etats membres qui trancheront. Peut-être qu’à un moment donné l’Union Européenne tranchera cette question. L’Union Européenne pourrait très bien adopter une législation à ce sujet. (…) Il n’est pas du tout exclu qu’au niveau de l’Union Européenne, on adopte une législation dans ce sens. ».
« En rien, l’impact économique de ces phénomène n’influe sur la formulation finale de l’ACTA »
A Franziska Keller, Karel De Gucht répond : « l’ACTA n’aura aucun impact sur les médicaments génériques (…) Et il est clair que nous allons nous assurer que l’entrave aux médicaments génériques ne continue pas ». Puis sur les études d’impact : « je ne pense pas que des études d’impact seraient d’une quelconque utilité ». Il explique que l’accord est notamment basé sur l’étude d’impact sur la contrefaçon et la piraterie de l’OCDE de 2008 (pdf). « Cette étude montre bien l’ampleur de la contrefaçon au niveau mondial. Une valeur qui représente 25 millions de dollars. » Vous en voudriez peut-être d’autres ou d’un autre type ? a t-il demandé. Avant de répéter que « l’ACTA ne concerne pas la législation de fond, mais la procédure. En rien, l’impact économique de ces phénomène n’influe sur la formulation finale de l’ACTA »
« Je dois avouer Monsieur Enciu que je n’ai pas compris votre question » a t-il poursuivi. Avant de redonner la parole, il a tenu à revenir sur l’un des principaux désaccords entre les différentes parties : la protection sur le design et les appellations géographiques, et à souligner l’« hypocrisie » des Etats-Unis à ce sujet.
« Concernant le téléchargement, je pense avoir dit clairement qu’il fallait que ça soit à grande échelle. »
Joan Enciu a donc reposé sa question : « Je voulais savoir si les personnes qui violeront les droits de la propriété intellectuelle seront punis par la loi pénale. Et donc si dans cette procédure de sanction vous mettez sur un pied d’égalité la contrefaçon de produits pharmaceutiques et le téléchargement illégal par un adolescent d’une chanson ou d’un autre autre produit inoffensif ? Est-ce que les sanctions seront les mêmes pour ces deux types très différents d’infraction ? »
Karel De Gucht: « Concernant le téléchargement, je pense avoir dit clairement qu’il fallait que ça soit à grande échelle. Concernant les produits pharmaceutiques, même en petite quantité, cela peut être très dangereux. (…) Et les douanes ont le droit et même le devoir de procéder à des vérifications« . Avant d’ajouter « cela n’est pas une question de procédure, mais une question de fond. »
« Est-ce que les prestataires techniques ont obligation d’informer des entreprises privées de mon comportement sur Internet ? »
Stavros Lambrinidis est intervenu de nouveau. Après avoir dit que l’ACTA était influencé par les lobbyistes (dont les majors de l’industrie de la musique et du cinéma), il a déclaré : « Tout le monde ici veut que les ayants droit reçoivent leur dû. Mais on vit au XXIe siècle. On ne peut pas avoir la perspective du XIXe siècle. On joue sur un autre territoire avec l’émergence d’Internet ». Selon lui, il faut surtout proposer de nouveaux moyens de garantir une compensation adéquate pour les créateurs et les ayants droit.
Il a ensuite demandé : « Quel compromis a été atteint concernant l’échelle commerciale concernant le téléchargement ? Le texte précédant parle de téléchargement sans motif financier. Alors cela fait toujours partie du nouveau texte de l’ACTA ou avez-vous limité l’échelle commerciale ? » Il poursuit : « Une option est évoquée concernant les prestataires de services Internet. Il est noté qu’il y aurait obligation de donner aux entreprises propriétaires des droits d’auteur l’identité de leurs utilisateurs qui téléchargent de la musique. Alors ça a été adopté ou pas ? (…) Est-ce que les prestataires techniques ont obligation d’informer des entreprises privées de mon comportement sur Internet ? »
Jan Philipp Albrecht (Verts/ALE) a ensuite indiqué que, selon la résolution adoptée par le Parlement Européenen mars dernier, l’accord doit être uniquement un outil de « lutte contre la contrefaçon » et il faudrait donc en exclure tout se qui concerne à la propriété intellectuelle. « Si l’ACTA va au-delà de l’acquis communautaire, le texte ne passera pas au Parlement » a t-il souligné. « Par exemple à propos de la riposte graduée, il faudrait regarder le Paquet Telecom où d’importantes mesures de garanties existent. Et il n’est pas possible que les Etats membres les sapent ».
« La définition d’échelle commerciale devra être faite par chaque État membre »
Karel de Gucht a répondu : « cette échelle commerciale n’est pas définie dans le droit communautaire. Autrement dit elle devra être faite par chaque Etat membre ». Stavros Lambrinidis l’a interrompu pour signaler qu’il y avait bien une définition dans l’accord, qui primera donc sur le droit national. « Oui, si cela figure dans l’ACTA, mais ça ne sera pas le cas ». Concernant le régime des FAI, il a indiqué qu’il n’y aurait pas de nouvelles obligations à la directive sur le commerce électronique.
Concernant la date du prochain round, le commissaire a annoncé la tenue de deux nouveaux rounds, dont le prochain fin juillet à Washington (Etats-Unis). Selon James Love, de l’organisation Knowledge Ecology International, cela sera plutôt à la mi-août. Et, un un autre round est prévu au Japon en septembre.
Maj 15/07 : Le document issu des négociations de Lucerne, et réclamé par certains euro-députés, a été publié hier soir par La Quadrature du Net.
Crédit Photo CC FlickR par coda
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