Neutralité: la com’ européenne qui fait pschitt
Tout ça pour ça! La Commission européenne vient enfin de délivrer sa "communication sur l'Internet ouvert et la neutralité des réseaux en Europe". Sans grande surprise, une position de principe bien pâlichonne.
Comme nous l’annoncions la semaine dernière, la Commission Européenne a dévoilé ce jour sa très attendue “Communication” sur la neutralité des réseaux.
Le document (disponible en intégralité au bas de l’article), d’une dizaine de pages, ne diffère pas dans ses grandes lignes des conclusions provisoires qu’OWNI avait réussi à se procurer. En d’autres termes: malgré quelques efforts de reformulation, atténuant le côté plus qu’hypothétique d’une future régulation en faveur de la neutralité des réseaux, la Commission européenne rend un avis terne et décevant, en refusant d’aller plus loin qu’une simple déclaration de principe, dans laquelle les consommateurs passent au dernier plan.
Pour un Internet ouvert. Avec la Commission européenne
Première orientation, déjà présente dans les documents de travail, la communication est intitulée “The Open Internet and netneutrality in Europe”. Le caractère “ouvert” de l’Internet prévaut donc sur sa neutralité, et ce parti pris reste intact tout au long du rapport. Le vocabulaire se place donc d’emblée du côté des opérateurs -un choix particulièrement judicieux dans le cas du public français, dont le temps de cerveau disponible est actuellement saturé par la campagne de pub d’Orange, qui mobilise des “Open” à tout bout de champs.
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Pour justifier son attentisme, La Commission européenne s’appuie sur deux points. D’un côté, elle avance que certains principes attenant à la neutralité sont d’ores et déjà définis et protégés dans le Paquet Telecom révisé, que les États membres doivent transposer d’ici le 25 mai prochain. Autrement dit, il serait trop bête d’agir avant cette adoption massive, et l’évaluation de ces éventuels effets, que la Commission espère évidemment positifs.
Étant donné que les États membres sont toujours en train de transposer le cadre règlementaire européen révisé des communications électroniques, il est important d’accorder un temps suffisant pour que ces dispositions soient intégrées et pour évaluer la façon dont elles opéreront en pratique.
Dans un second temps, la Commission souligne également que la réalité de certaines pratiques litigieuses des opérateurs, soupçonnés de bloquer ou de limiter des services et des applications sur Internet (tels le peer-to-peer ou la voix sur IP), n’a pas été complètement établie. Tout en signalant la position alarmiste de certains acteurs, qui redoutent la pérennisation et l’extension de ces techniques de bridage à des services comme la TV connectée, l’Exécutif européen estime “ne pas avoir les preuves lui permettant de conclure que ces inquiétudes sont justifiées à ce stade mais qu’elle les gardera en tête dans une perspective d’enquête plus exhaustive.” Taclant au passage le caractère lacunaire de la consultation publique: “de plus, les données récoltées à l’issue de la consultation publique étaient incomplètes ou imprécises dans bien des aspects qui sont essentiels pour comprendre l’état des lieux actuel au sein de l’Union Européenne”. Les 300 et quelques contributeurs apprécieront.
Les vertus de la libre concurrence
Résultat, des études complémentaires seront menées, notamment au sein du BEREC (Body of European Regulators of Electronic Communications, jeune régulateur européen des télécom), sur l’état du marché de l’Internet fixe et mobile en Europe. Mais une nouvelle fois, la Commission réaffirme sa croyance en les vertus de la libre-concurrence, “considérée comme le meilleur moyen de délivrer des biens et services de haute-qualité et à des prix raisonnables aux consommateurs.” Autant d’éléments qui ne laissent pas présager une position offensive de la Commission en faveur de la neutralité dans l’avenir, ce que regrette la Quadrature du Net par la voix de son porte-parole Jérémie Zimmermann:
Mme Kroes se cache derrière de faux arguments libéraux pour ne pas agir, prétextant que les lois sur la concurrence et la consommation sont suffisantes pour résoudre le problème.
L’association regrette également la marge de manÅ“uvre qui semble être laissée aux fournisseurs d’accès en matière de gestion de trafic, considérée par la Commission comme “largement acceptée [...] afin que les opérateurs assurent une utilisation efficiente de leurs réseaux et de certains services IP.”
“De manière assez honteuse, la Commission croit que la neutralité du Net est compatible avec la différenciation de trafic sur l’Internet public, poursuit la Quadrature. Cela va dans le sens des opérateurs télécoms, qui veulent augmenter leurs marges en discriminant les communications de leurs utilisateurs.”
Une chose est sûre, les internautes et la “qualité de service” n’arrivent qu’au terme du document, à la suite de considérations sur le Paquet Télécom, les pratiques de blocage et la gestion de trafic. Le volet des consommateurs est donc vite expédié, au même titre que la question de la bande passante et de son financement, abordés en une phrase de conclusion qui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout:
En parallèle, la Commission continuera son dialogue avec les Etats membres et les acteurs pour assurer le développement rapide de la bande passante, qui réduirait la pression sur le trafic de données
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Illustrations CC FlickR par parl
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