Breivik, les limites de la surveillance
Vouloir répondre à la tuerie norvégienne par un durcissement sécuritaire est un non-sens : elle ne pouvait pas être prédite.
L’incertitude du danger appartient à l’essence du terrorisme.
La sentence est de Jürgen Habermas, un philosophe honni par Anders Behring Breivik, un de ces “marxistes culturels” issus de l’Ecole de Francfort que le criminel norvégien assassine dans son manifeste décousu. Sa phrase ressemble à un truisme: une bombe en temps de paix frappe toujours par surprise. Mais à l’heure des espaces semi-publics et du data mining généralisé, les opinions publiques tolèrent de plus en plus mal l’irruption d’un tireur solitaire ôtant la vie à 76 de ses concitoyens dans l’une des démocraties les plus abouties d’Europe.
Devant l’imprévisible, plusieurs pays ont manifesté leur désir de prévenir des événements similaires, en améliorant leurs systèmes d’alerte en ligne. Immédiatement après l’attaque, le patron de la police finlandaise a plaidé pour une surveillance plus efficace des signes avant-coureurs. Traumatisée par une fusillade dans un lycée en septembre 2009 (dont l’auteur avait été interrogé par les autorités avant son passage à l’acte), la Finlande traque déjà les “signaux faibles” sur Internet.
En Allemagne, plusieurs parlementaires poussent à la roue pour relancer le débat sur la rétention des données, que le Tribunal constitutionnel allemand a pourtant rejeté en 2010. “Nous [en] avons besoin”, a estimé Hans-Peter Uhl, un député de la coalition chrétienne-démocrate. “C’est à ce prix que des enquêteurs pourront retracer des communications pendant la préparation des attaques, contrecarrer de tels actes et protéger la vie des gens.”
“Banal et sans histoires”
Touchée par la tuerie la plus tragique de son histoire, la monarchie scandinave a fait savoir par la voix de son Premier ministre Jens Stoltenberg qu’elle ne répondrait pas à la mort de 76 personnes par un durcissement sécuritaire. “La Norvège répond à la violence par plus de démocratie, plus d’ouverture et une plus grande participation politique”, a-t-il déclaré, tout en affirmant qu’il est possible “d’avoir une société ouverte, démocratique et inclusive, tout en prenant des mesures de sécurité”. Comment expliquer cette résilience?
“Sous les apparences d’un type banal et sans histoire, le Norvégien Anders Behring Breivik a passé près du tiers de son existence à mûrir un projet extrémiste”, écrit l’AFP. Banal et sans histoire, Breivik s’est attaché à le devenir aux yeux de tous, en ourdissant son plan pendant de longues années. Dernièrement, il avait même fait l’acquisition d’une exploitation agricole dans la bourgade d’Åmot, à 150 kilomètres d’Oslo, avec un objectif aussi simple que machiavélique: acheter six tonnes d’engrais chimique destiné à la confection de ses charges explosives, sans jamais éveiller les soupçons.
Cum hoc ergo propter hoc
Sur son blog, Rick Falkvinge, le fondateur du Parti pirate suédois, dresse les “leçons sécuritaires” d’Utoya. D’emblée, il rappelle l’inanité d’une surveillance généralisée :
Tant que vous gardez votre horrible plan pour vous, vous échapperez aux écoutes et à la rétention des données. Le plus vaste programme d’espionnage civil de l’histoire est inutile contre des individus tels que Breivik.
Puisque la précognition n’existe que dans les romans de science-fiction de Philip K. Dick et dans les films avec Tom Cruise (Minority Report, donc), les velléités d’anticipation des démocraties occidentales pourraient survirer dans une chicane idéologique avant même de percuter un mur technique. De la même manière qu’il est difficile de prédire les révolutions par les données, devancer les terroristes relève de la gageure pure.
En 2008, l’Université d’Alabama avait été mandatée par l’US Air Force pour concevoir un algorithme capable de prévenir les attaques terroristes. Comment? En créant une base de données de plusieurs milliers d’attaques récentes, en recensant leur mode opératoire et en cherchant les corrélations. Problème : cum hoc ergo propter hoc. Corrélation n’est pas causalité.
Comme le rappelle Falkvinge en citant Benjamin Franklin – “Ceux qui sacrifient la liberté pour la sécurité ne méritent ni l’une ni l’autre” -, les pays nordiques sont parmi les plus avancés au monde en matière d’écoutes légales – la Suède notamment. Ce qui n’empêche pas les pires tragédies.
Crédits photo: Flickr CC electriksheep,chez_worldwide
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