Free Mobile couvert
Oui, Free Mobile couvre bien 27% de la population. Et c'est le gendarme des télécoms qui le dit, tentant ainsi de mettre un terme à la polémique visant le réseau du quatrième opérateur. Double effet Kiss Cool pour l'Arcep, qui cloue d'un même geste le bec d'Orange, SFR, Bouygues Télécom et... d'Eric Besson, avec qui l'autorité se disputait la reprise en main du dossier.
L’Arcep a tranché : Free Mobile n’est pas en tort. Son président, Jean-Ludovic Silicani, a donné l’information “en exclusivité” aux députés qui l’auditionnaient hier soir1: après vérification, le dernier né du secteur couvrirait bel et bien 27% de la population, conformément aux obligations fixées par le régulateur.
Un joli coup de com’ pour le gendarme des télécoms, qui cloue d’un même geste le bec de la concurrence, fortement suspicieuse à l’égard du réseau Free Mobile, et d’Eric Besson, ministre en charge du numérique, avec qui il se disputait la reprise en main du dossier.
Free dans les clous de l’Arcep mais pas d’Orange
Mené début février, le contrôle a établi que Free détenait 753 antennes “allumées” sur un total d’un millier installées et susceptibles d’être utilisées, a indiqué le patron de l’Arcep. Un déploiement qui “se poursuit”, a précisé un communiqué de presse envoyé dans la foulée, et qui devrait à ce jour compter plus de 800 stations en activité, a ajouté Jean-Ludovic Silicani.
Suite à son lancement tonitruant, début janvier 2012, Free Mobile a connu des moments plus difficiles ; un ensemble de dysfonctionnements commerciaux et techniques étant reprochés à l’opérateur. Dont un en particulier : la réalité de son réseau. Free s’est vu accuser de ne pas avoir installé les infrastructures suffisantes pour supporter ses nouveaux abonnés et de ne compter que sur le réseau d’Orange pour distribuer ses appels. Les deux opérateurs sont certes liés par un accord d’itinérance, qui vise précisément à combler les carences de Free Mobile en matière de couverture réseau. Mais cet accord n’est valable que si le quatrième opérateur couvre au minimum 27% de la population. Et il en va de même pour sa licence d’opérateur mobile…
C’est là que ça se complique. Car si Free remplit ses objectifs de couverture, le régulateur ne nie pas néanmoins que la majorité de son trafic passe bel et bien sur le réseau d’Orange, jugé “plus efficace” par Jean-Ludovic Silicani. En d’autres termes, il y a une différence entre le déploiement des antennes et la qualité du service rendu. “Dans la licence et les obligations [de Free], il y a une exigence de couverture, pas de qualité” a expliqué le patron de l’Arcep. Pour les consommateurs, le résultat est le même : portés par Free ou Orange, les appels arrivent à destinations. L’opérateur historique en revanche, peut pâtir de cette surcharge de trafic, qui ne correspond pas aux termes de l’accord d’itinérance. C’est à lui qu’incombe la responsabilité de rétablir un équilibre, a poursuivi Jean-Ludovic Silicani, qui a déclaré savoir que les deux opérateurs étaient en pourparlers.
“Faire courir des rumeurs sur le net, ce ne sont pas des méthodes très correctes”.
La déficience présumée du réseau Free Mobile avait fait les gorges chaudes des médias ces derniers mois. C’est pour cette raison et “dans un souci de transparence et de sérénité [que] l’Arcep a décidé de renouveler ses mesures sur le réseau de Free Mobile ”, indique le communiqué de presse. Rien ne l’y obligeait, a renchéri Jean-Ludovic Silicani, l’Autorité ayant déjà inspecté le réseau de l’opérateur en décembre dernier, à la suite d’une première batterie de mesures. Une validation formelle qui avait inauguré l’entrée de Free dans le marché mobile.
Sur ce dossier, la concurrence a officiellement misé sur la retenue, laissant tout au plus planer un doute, à l’instar d’un Stéphane Richard, patron de France Télécom, qui déclarait fin janvier au JDD : qu’il existait “grande confusion” sur l’état du réseau Free mobile. Une communication officielle doublée néanmoins d’une pluie de témoignages anonymes, dans la presse, d’ingénieurs de SFR, Orange et Bouygues Telecom.
Un double jeu dénoncé hier par le président de l’Arcep :
Faire courir des rumeurs sur le net, en parlant aux journalistes, ce ne sont pas à mon sens des méthodes très correctes.
Les opérateurs, qui avaient la possibilité de faire part au régulateur de leur doute quant à la fiabilité du réseau Free Mobile, ont finalement décidé de ne lancer aucune procédure. Seuls des syndicats d’opérateurs de téléphonie mobile ont formellement saisi l’ARCEP “d’une demande d’enquête concernant le respect par Free Mobile de l’obligation de déploiement d’un réseau 3G dans des conditions conformes à son autorisation”, indique l’Autorité.
Mais si les attaques n’étaient pas explicites, les trois premiers opérateurs mobiles n’ont pas épargné Free. Bien au contraire : sa campagne publicitaire, son service client, son aptitude à créer des emplois en France, et bien sûr, sa capacité à investir dans un réseau d’antennes pérenne : tout est passé dans la moulinette de la concurrence. Egalement auditionnés par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, les patrons des opérateurs n’ont pas mâché leurs mots : Stéphane Richard avait appelé “l’Arcep à faire son travail” tout en dénonçant la violence des propos de Xavier Niel, patron d’Iliad (maison-mère de Free), qui avait qualifié de “pigeons” les clients de ses concurrents ; chez SFR, Franck Esser a mis en doute la “pérennité [des] innovations tarifaires” du quatrième opérateur, estimant qu’il était “impossible” de soutenir les investissements nécessaires au déploiement du réseau mobile avec des abonnements si peu élevés. Un modèle synonyme d’un “réseau au rabais” pour Olivier Roussat de Bouygues Telecom, interrogé par les députés peu de temps avant le patron de l’Arcep.
Faire la nique à Éric Besson
Avec cette communication imprévue -l’Arcep avait indiqué par voie de communiqué qu’elle ferait la lumière sur le réseau Free Mobile début mars à l’occasion d’une conférence de presse -, le régulateur des télécoms bénéficie d’un double effet Kiss Cool. A l’encontre d’Orange, SFR et Bouygues Télécom, déjà, qui peuvent aller se rhabiller. Mais aussi à l’encontre du ministre de l’Industrie et de l’économie numérique, Eric Besson, avait qui l’Arcep s’était lancé dans un bras de fer sur le dossier.
Les inimités entre le cabinet du ministre et l’autorité administrative indépendante ne sont pas nouvelles, mais se sont renforcées avec l’émergence de cette polémique. L’enjeu ? Savoir lequel des deux s’est saisi le premier de cette affaire au potentiel explosif. Et, par voie de conséquence, lequel des deux a laissé s’envenimer le bousin. En résulte une guerre de communication, faite de courriers, de communiqués et d’articles de presse, laissant entendre l’un que Bercy a saisi l’Arcep du problème, l’autre que l’Arcep a informé Bercy de sa volonté de s’auto-saisir du dossier. Dernier épisode en date de ce drama made in administration, une lettre d’Eric Besson à une autre institution, rattachée à son ministère : l’Agence nationale des fréquences (ANFR), qu’il a chargée de vérifier le réseau mobile de Free. En marge de l’audit effectué par l’Arcep. Les résultats de ce contrôle étaient attendus ce jour même. Le régulateur des télécoms a donc grillé la priorité au ministre, tout en se disant en excellents termes avec l’ANFR. Devant les députés, Jean-Ludovic Silicani a d’ailleurs nié toute concurrence avec cette agence : “je veux bien me coordonner avec qui veut bien communiquer avec moi”, a-t-il lancé, évasif, à la commission des affaires économiques. Poursuivant séchement :
Je lui avais demandé [NDLR : à Eric Besson], par une lettre envoyée directement, et non par voie de presse, d’associer l’ANFR à notre initiative.
Reste à découvrir les résultats de cet audit, prochain numéro de la (déjà) grande saga Free Mobile.
Illustration Arcep © Dominique Simon
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