L’agenda incomplet d’Ayrault

Le 4 juillet 2012

La déclaration de politique générale du gouvernement de Jean-Marc Ayrault se présente comme un agenda - plus ou moins précis - des réformes de la majorité. Owni a replacé ses engagements sur une frise chronologique interactive... et compté les absents. Quelques promesses de campagne de François Hollande n'y figurent pas vraiment.

Sans souffle ni surprise, le discours de politique générale du Premier ministre Jean-Marc Ayrault a présenté ce mardi 3 juillet plus qu’une feuille de route : un véritable agenda pour la majorité. Mais un agenda semé d’imprécisions et d’oublis, révélateurs des incertitudes gouvernementales face aux “efforts” recommandés par la Cour des Comptes. Des efforts plus couramment appelés “rigueur”.

Afin de visualiser ces chantiers dans le temps, l’équipe des datajournalistes d’Owni a recomposé l’agenda du Premier ministre tel qu’il l’a présenté aux parlementaires. La frise chronologique a été réalisée à partir des engagements mentionnés dans ce discours de politique générale.1

Sur toutes les réformes annoncées par Jean-Marc Ayrault, une moitié, seulement, trouvait une place précise dans l’agenda ministériel et parlementaire. L’autre moitié regroupait un certain nombre d’ambitions sans délais. Lesquelles ne comptaient pourtant pas parmi les chantiers les plus anecdotiques du projet présidentiel.

“Très rapidement”

La campagne du candidat socialiste avait été de l’avis général inaugurée par le discours du Bourget et par une adresse frontale et ambitieuse à ceux que François Hollande désignait comme les fauteurs de crise :

Mon adversaire, c’est le monde de la finance.

Passée à son Premier ministre, cette louable ambition reste dans un flou temporel. Ni la séparation entre les activités des banques “utiles à l’emploi” et les activités spéculatives, ni la stimulation de l’investissement industriel par la création d’un livret d’épargne dédié ne sont posées dans le calendrier.

Formulée dans ce même discours du Bourget, la promesse de relèvement du plafond du livret A, visant à stimuler le financement des logements sociaux, est renvoyée à plus tard, sans trop de précision, comme la mise à disposition gratuite de terrains aux collectivités pour construire des HLM :

Un plan de mobilisation du foncier sans précédent sera lancé, avec les terrains vacants de l’Etat qui seront mis gratuitement à la disposition des collectivités locales dans des programmes d’aménagement urbain respectueux de la mixité sociale et le plafond du Livret relevé pour répondre aux besoins de financement.

Annonce tonitruante, la multiplication par cinq des pénalités pour les villes ne respectant pas le quota de logements sociaux fixé par la loi SRU n’a pour l’instant pas d’horizon.

L’esprit de la rigueur plane également sur de nombreuses propositions financièrement lourdes mais au calendrier encore à définir : le programme massif d’économies d’énergie, le “plan ambitieux d’amélioration technique” des bâtiments neufs et anciens, l’augmentation du nombre de logements étudiants et la création d’une allocation de formation sous condition de ressource sont annoncés sans date. Mais le “contrat de génération”, pilier du programme de François Hollande, sera lui mis en place “très rapidement”.

D’autres mesures phares n’auront pas cette chance. Malgré la polémique qu’avait entretenu l’UMP à son sujet, la proposition d’accorder le droit de vote aux étrangers réguliers résidant en France depuis cinq ans aux élections municipales n’est pas placée dans l’agenda. Le Premier ministre ne précise même pas si elle sera étudiée pour les prochaines échéances de 2014. Quant à “l’immense chantier de la décentralisation”, il prendra du temps et de la concertation :

Je pense à la priorité donnée à la jeunesse. Je pense à une nouvelle étape de la décentralisation. Je pense à la transition écologique et énergétique. Il faut donc prendre le temps de réussir ces grandes réformes de structure pour que vienne ensuite celui de tirer les bénéfices de l’effort collectif.

Cette réforme trouvera sa place, dans la salle des pas perdus, au côté des 150 000 emplois d’avenir et le service civique qui attendent un créneau.

Oubliée

Si le ton du discours de Jean-Marc Ayrault, dans ses chiffres et dans son rythme, évoquait celui des discours de campagne du candidat élu, il s’éloignait en revanche sensiblement des 60 propositions qui structuraient le programme du socialiste.

Là encore, des manques cruels se font sentir. Objet de la proposition 27, les banlieues ne sont évoquées qu’incidemment et sans précision dans le discours de politique générale, de même que l’Outre Mer (proposition 29).

Durant la campagne, le chantier de la réforme fiscale avait été largement inspiré par les travaux de Thomas Piketty, économiste proche du Parti socialiste, lequel revendiquait notamment la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu. Mentionné en point 14 du programme du candidat, cette révolution fiscale n’est même pas retenue par le Premier ministre, qui se contente juste d’évoquer ses intentions sur le barème d’imposition et d’annoncer la mise à contribution des grandes fortunes :

La réforme fiscale se poursuivra à l’automne dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013. L’impôt sur le revenu sera rendu plus juste, plus progressif et plus compréhensif. Les niches fiscales seront donc plafonnées. Le taux d’imposition réel des contribuables aisés ne peut plus continuer d’être inférieur à celui de la majorité des Français. Pour les plus riches, une nouvelle tranche d’imposition à 45 % sera créée. Et pour les revenus annuels supérieurs à un million d’euros, une imposition à 75 % sera instaurée.

Oubliée avec elle la fiscalité différenciée entre grandes entreprises et PME, auxquelles Ayrault souhaite pourtant un si bel avenir. Tandis que la santé passe pour la grande oubliée de ce discours de politique générale. Ni l’accès aux soins, ni l’aide aux handicapés (exception faite de l’accessibilité des bâtiments), ni l’euthanasie n’ont été évoqués face aux députés.


La frise chronologique a été réalisée par Camille Gicquel, Nicolas Patte et Marie Coussin. Le fact-checking politique a été réalisé par Sylvain Lapoix.

  1. Certains projets cités avec des dates imprécises (“à l’automne”, “avant la fin de l’année”…) ont été placés au début de la période évoquée tandis que ceux promis à une mise en Å“uvre “très rapide” sont présentés à la rentrée de septembre. La navigation peut se faire en cliquant sur les flèches de part et d’autre de l’encadré ou en cliquant sur les bulles dans la frise. []

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